Denis Pascal en grand entretien
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Ad Manaurem 1762: Denis, qu'est-ce qui vous a poussé à accepter l'invitation d'Ad Manaurem 1762 en tant que directeur artistique, et qu'est-ce qui rend ce projet si unique pour vous ?
Denis Pascal: La proposition est venue d'une personne bienveillante (Didier Sourisseau, NDLR) qui bâtit un projet presque utopique : réunir de jeunes musiciens dans un lieu absolument extraordinaire, le Château de La Marthonie à Saint-Jean-de-Côle. Ce projet visait à créer des conditions particulières pour un échange unique avec de jeunes artistes, dans un lieu caché, au cœur du Périgord Vert. En réalité, j'ai accepté ce projet sans connaître l'endroit. Et je crois que j'aurais même dit oui plus vite si j'avais su à quoi ressemblait le lieu tel que je l'ai découvert en 2024.
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Sans parler de l'équipe Ad Manaurem 1762 et de l'aspect humain de cette aventure, qui est vraiment spéciale, précieuse, comme devrait l'être un projet autour de la musique et de l'art. C'est aussi un devoir pour moi de participer à des événements ou des occasions de construire des projets destinés aux jeunes artistes. Pour les pianistes, c'est une occasion unique de venir en Dordogne – pas tant pour participer à la master classe, mais pour être un peu coupés du monde pendant une semaine dans des conditions extraordinaires. Pour moi, c'est aussi un cadeau de pouvoir accueillir ces jeunes musiciens, discuter avec eux et apprendre d'eux. Et ce, même si je suis là en tant que professeur, avec un rôle bien défini et régulé.
Ad Manaurem 1762: Quel message clé ou quel conseil important souhaitez-vous transmettre aux jeunes pianistes pour leur développement musical et personnel ?
Denis Pascal: Ils sont déjà en quête de leur développement et cherchent des clés pour mieux fonctionner. Si j'ai des conseils à donner, c'est plutôt en termes de propositions concernant leur relation avec l'instrument, avec la musique, et avec ce qu'ils veulent réaliser. Ces propositions, une fois un peu décodées, plus éclairées ou objectivées, leur permettent de s'insérer plus facilement dans le milieu professionnel, d'avoir une voix personnelle. Il s'agit de se considérer comme un centre d'intérêt, de devenir quelque chose qui puisse interpeller le public et les autres musiciens – en bref, de devenir un peu maîtres d'eux-mêmes.
Il s'agit donc de travailler sur l'affranchissement, la confiance en soi, et une connaissance plus objective qui leur donne les outils pour se détacher ou, en tout cas, pour avancer dans leur cursus d'enseignement.
Ad Manaurem 1762: Selon vous, quelle est l'importance de l'apprentissage en master classe et de l'échange avec d'autres musiciens pour la maturation artistique?
Denis Pascal: Les échanges en master classe sont particuliers parce qu'on se voit plus souvent, tous les jours, ce qui crée une temporalité différente par rapport à l'année universitaire. La manière de donner les cours est donc différente. La master classe est ponctuelle, même si elle dure une semaine. Cela signifie qu'on suscite des questionnements, on essaie d'enclencher des réflexions qui – nous l'espérons – porteront leurs fruits plus tard. La master classe est aussi une manière de briser un cycle, de sortir du quotidien et de ses difficultés que rencontrent les artistes, les musiciens, tout le monde en fait. Il s'agit de se retrouver et de vivre cette expérience quotidienne autour du répertoire, avec des échanges organisés et planifiés, encore une fois dans un lieu absolument merveilleux. Il y a une fluidité dans le temps, quelque chose de suspendu. Les contingences du monde extérieur ne sont plus là. Et cela permet peut-être de lâcher les défenses et, finalement, de communiquer sur des choses essentielles.
La "master classe" est un terme un peu… disons... Je n'aime pas trop le terme "classe de maître". Il s'agit simplement d'être là de manière soutenue et d'être concentré plus intensément pendant un temps bien défini. En ce moment, ce sont six jours intenses puisque je vois les pianistes tous les jours. Ces moments sont toujours privilégiés. Je me souviens des master classes auxquelles j'ai participé. J'ai en tête des noms de grands pianistes qui sont des modèles pour moi. Loin de vouloir les imiter, j'ai compris que des échanges particuliers peuvent se faire lors de ces sessions.

Ad Manaurem 1762: Une masterclass, même si vous n'aimez pas le mot, permet-elle l'échange entre générations, ou peut-être même entre différentes cultures qui s'enrichissent? L'avez-vous vécu ainsi ?
Denis Pascal: Oui, évidemment, dans une idée où l'on embrasse plusieurs nationalités : Chine, Taïwan, Lituanie, France… Forcément, il y a des cultures associées. Il y a aussi le fait de rencontrer des institutions, puisque des étudiants de la Royal Academy, etc., viennent. Ce sont aussi des manières de penser, des manières… Et ça, c'est fascinant. Pour moi, c'est naturellement fascinant. Pour eux, non. Eux sont sortis de leur institution et se retrouvent un peu dépaysés dans cet endroit hors du monde, hors du cycle, comme je le disais. Mais c'est un enrichissement évident.
Comme je l'ai dit plus tôt, c'est une chance que de jeunes artistes vous demandent conseil. S'ils s'ouvrent suffisamment pour demander conseil, la partie est gagnée. Ce n'est pas seulement une question de valorisation, mais cela nous aide aussi à avancer nous-mêmes.

Ad Manaurem 1762: Pourquoi, selon vous, un musicien devrait-il postuler à Ad Manaurem 1762?
Denis Pascal: Je pense que c'est une occasion unique de trouver le silence. C'est vraiment une occasion unique. De plus, les conditions sont absolument merveilleuses. C'est une occasion de rencontrer d'autres musiciens, de jeunes musiciens, et l'organisation de la semaine est telle que tout est simple : financièrement bien sûr, la logistique, tout est fluide. Et rien n'est jamais vraiment fluide dans la vie. Tout est compliqué.
Et c'est ce qui crée ces expériences. Je pense que faire de la musique, pour les musiciens, c'est rêver dans un monde spécial. C'est avoir cette capacité à l'introspection, à suivre une imagination. Bref, ce n'est pas rien et ce n'est pas non plus dans l'air du temps. On pourrait dire que cette pratique du piano, ou l'art en général de la musique classique, de l'interprétation, est à mon avis quelque chose d'essentiel. Elle sert de modèle pour tout le reste. Mais ce n'est pas dans l'air du temps. C'est donc un moment spécial à découvrir, avec des conditions spéciales.
Ad Manaurem 1762: Comment avez-vous personnellement vécu la semaine de la master classe et quelle impression en retenez-vous?
Denis Pascal: L'impression, c'est surtout la connaissance de six individus différents, d'avoir cherché avec eux, d'avoir appris des choses avec eux et d'avoir essayé de déclencher des processus ou ce qu'on appelle des déclics, concernant leur relation avec l'instrument, le mouvement, l'écoute, la lecture d'une partition. Finalement, il y a des points précis pour s'affranchir et devenir ce que l'on doit être en tant que pianiste.
Il est vrai que la master classe est affaire de précision. Les cours ne sont pas de la poésie. Il y a quelque chose de précis, de concret, car la musique est aussi un artisanat, et cet artisanat, ou le perfectionnement des gestes, nous amène à capter d'autres dimensions. Bref, c'est comme ouvrir un tiroir. Il ne suffit pas de discuter littérature pour travailler du Schumann ou du Beethoven. Il faut savoir mettre les mains dans l'écriture musicale, dans la relation avec la lecture, savoir comment fonctionne un piano, comment on peut bouger, et quel est le lien entre notre imagination et nos possibilités de jeu. En bref, c'est à la fois extrêmement concret, extrêmement objectif – du moins, je m'astreins vraiment à penser ainsi – et cela ouvre des portes vers un peu un ailleurs avec la poésie, c'est certain.
Ad Manaurem 1762: Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter, un mot pour finir cet entretien?
Denis Pascal: Mon mot de la fin : Tant qu'il y aura des rêveurs et des idéalistes, la musique existera. Je tiens à remercier Ad Manaurem 1762, et en particulier Didier, car c'est essentiel. Je pense que c'est un devoir de soutenir ce projet, et c'est aussi une démarche importante pour moi de vous remercier de cette opportunité.

Né le 1er décembre 1962 à Albi, Denis Pascal est une figure marquante et une personnalité hors pair du piano français. Après ses études au Conservatoire de Paris, il a approfondi sa technique auprès de György Sebök à l’université d’Indiana. Lauréat de plusieurs concours internationaux (Lisbonne, Zurich et New York), il séduit par la chaleur de son son et la sensibilité de son jeu. Il est notamment reconnu pour son enregistrement intégral des Rhapsodies hongroises de Liszt. Avec ses fils Alexandre et Aurélien, il forme le Trio Pascal. Depuis 2011, il transmet sa passion en enseignant au Conservatoire de Paris.
